LETTRE DU CHENE.
Le jour se lève et avec lui je découvre pourquoi j'ai si
mal, pourquoi j'ai si froid au pied, je me sens brisé, cassé pourtant je vis
encore. A ma douleur physique s'ajoute la douleur morale, oui, je suis là,
couché
sur le flanc, le pied déchaussé, mais voilà, dans ma chute j'ai entraîné
mes amis, je me suis accroché à eux comme on s'accroche à la vie et dans la
tourmente ils ont sombré avec moi. Pourquoi ? Pourquoi Dame Nature a-t-elle
tant soufflé ? Pourquoi cette violence ? A qui voulait-elle donner une leçon
ou un avertissement ? A nous ou aux hommes ?
J'ai plus de 120 ans, j'avais donc l'expérience, mais à quoi m'a-t-elle servie ? Dans mon effondrement j'ai écrasé les miens, mon poids, ma taille, mes ramures les ont fracassés, déchiquetés. Mon Dieu comment ai-je pu ? Ai-je eu le choix ? De jour comme de nuit je ne pouvais les esquiver.
Me plaindre, pleurer sur mon sort est inutile. Une seule
priorité, transmettre mes connaissances à nos enfants, toutes ces jeunes
pousses encore si fragiles, mais comment ? Aux alentours, je vois le même désastre,
cet odieux paysage terrassé par cette tempête. J'ai un pied, mais ne peux
bouger, des dizaines de bras, brisés certes, mais inefficaces, il ne me reste
que l'amour de la forêt à propager autour de moi. Communiquer avec l'homme,
lui dire, lui dire combien nous souffrons, combien nous avons besoin de lui.
Pendant des années nous vous avons offert notre ombre généreusement, vous
vous êtes si souvent adossés à notre tronc, vous y avez même parfois gravé
votre amour pour lui donner un semblant d'éternité, le bruissement de nos
feuilles vous ont titillé les oreilles, souvenez-vous comme cela était agréable
de partager ces moments de paix...
Vous venez aujourd'hui avec vos tronçonneuses, vos machines
pour nous achever, il est vrai que dans l'état où nous sommes nous n'avons plus
de dignité. Avant, avant d'en finir avec nous, laissez nous vous dire ceci :
"
Pour avoir toujours du bleu dans vos yeux mettez du vert dans votre
paysage"
Merci de nous reconstruire.
Le roi de la forêt pour tous les arbres couchés
Le chêne